Les Chevaliers du Vent

Audrey Ehanno

« La course à pied en Himalaya permet d’aller à l’essentiel… »

 

« La course à pied en Himalaya permet d’aller à l’essentiel… C’est un acte qui épure et une aventure que d’aller chaque jour à l’essentiel. » Cette phrase est d’Audrey Ehanno et date de 2005, lors de sa participation à l’Everest Sky Race. Depuis ses podiums au Grand Raid de La Réunion (3e), à la Grande Course des Templiers (2e) et sa cinquième place à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, on ne présente plus cette jeune femme de 32 ans. En remportant l’Annapurna Mandala Trail by Raidlight en 2010, elle a étendu sa toile sur le monde de la course nature.

« Parce qu’il est là ! » C’est la réponse que donnait George Leigh Mallory, lorsque l’on lui demandait pourquoi il désirait gravir le Mont Everest. Cette obsession le fit disparaître en 1924 en tentant l’ascension du plus sommet du Monde (8.850 m)… Le 29 mai 1953, à 11 h 30, le Néo-Zélandais Edmund Hillary et le Népalais Tensing Norgay Sherpa triomphèrent du sommet pyramidal. Et vingt-deux ans plus tard, la Japonaise Junko Tabei était la première femme… En 1975, Audrey Ehanno avait juste un an. Ses pas hésitants étaient de marche. Aujourd’hui, ils sont de course. De courses victorieuses sur le Défi de l’Oisans (2003), le Sancy – Puy-de-Dôme (2004), la Voie de l’Ecir (2004)… Son pied fut même de bronze sur le Grand Raid de la Réunion en 2003 (27 h). Quant à sa main, capable de grimper le rocher dans des voies très difficiles, elle l’enfonça dans la neige du dernier printemps, au sommet du Mera Peak (6.476 m). C’était quelques jours avant que Audrey ne prenne le chemin vers Ehanno. Parce qu’elle était là, parce qu’il était là…

Elle et Il ne font qu’un depuis longtemps. Au bras de celui qu’elle aime, Philippe Dauriac, Audey découvre les mondes andins et himalayens depuis l’été dernier. Un voyage physique qui se terminera bientôt. Une quête personnelle toujours dans le jour présent… Lors de cet Everest Sky Race, elle a parcouru les Chemins du Ciel, la carte en bandoulière, en se laissant « porter par les courbes de niveau » chères à Yves Détry. Sans se dénuder, les siennes ont habillé la course d’un esprit de découverte individuel et collectif. « La course à pied, dans ce type d’épreuve, permet d’aller à l’essentiel, révèle Audrey Ehanno, professeur d’éducation physique et sportive, et non de philosophie. C’est un acte qui épure… Ainsi, on se pose les vraies questions. Les réponses arrivent ou demeurent des interrogations. Quoi qu’il en soit, cette épuration nous emmène à l’essentiel de la personnalité. La sienne et celle des autres. Avec la fatigue physique et mentale, on ne peut être que soi-même. C’est une découverte et parfois, une révélation. Dans ces moments-là, j’essaie de me bonifier au contact des autres… » Et d’avouer : « Prendre une année sabatique n’est pas un hasard. C’est une réflexion sur soi-même et face à ses choix de vie. On se retrouve hors de la société. Puis, l’Everest Sky Race arrive avec un petit peloton qui devient comme une petite famille… On recherche alors des réponses chez les autres. Ce contact m’a aidé à faire des choix et m’a conforté dans mes idées. »

« C’est une aventure d’aller chaque jour à l’essentiel »

La course par étapes est un lieu de vie où la gestion de l’effort se renouvelle au quotidien. Audrey est particulièrement attirée par ce genre d’épreuve. « C’est une aventure d’aller chaque jour à l’essentiel », se plaît-elle à dire. Reste à savoir si cet effort peut être typiquement féminin ? « Nous étions dix femmes, un nombre important dans un peloton de quarante-et-un coureurs. Mais je n’ai pas été étonnée car je pense que c’est une course pour les femmes. Par rapport au niveau de la mer, les performances montrent que nous sommes plus à l’aise que les hommes en altitude. Cependant, courir en altitude n’est pas un effort typiquement féminin, même si nous pouvons mieux rivaliser avec les hommes… » En effet, si aucun abandon n’a été enregistré chez les dames – même si elles ne sont que quatre à avoir réalisé la totalité du parcours – Corinne Favre (8), Karine Herry (12), Yangdi Lama Sherpa (13) et Audrey Ehanno (17) sont dans le Top 20. La mixité est donne également dans la performance.

Cette rivalité homme/femme n’est, cependant, pas le but ultime des courses par étapes. Notamment en Himalaya où l’altitude est le premier adversaire « Même si la confrontation existe, face à elle, nous ne pouvons pas rivaliser, confirme Audrey. Comme j’étais acclimatée, j’ai pris le départ en étant plus sereine que d’autres. L’altitude est malgré tout présente et nous sommes obligés d’en tenir compte. En France, je cours toujours avec mes sensations et l’altitude se traduit par des sensations, parfois bizarres… Comme celle de faire un effort intense sans pour autant aller vite. Pourtant, cette vitesse, il faut l’adapter par rapport aux difficultés. Heureusement que l’épreuve est conçue de façon à ce que les gens puissent s’acclimater au fil des jours. Au final, c’est une belle aventure et si l’occasion de la faire se présente, il faut la saisir. Je pense aux hommes comme aux femmes… » Dix jours en montagne dans des conditions difficiles, délicates, même, lorsque l’on évoque l’hygiène intime au féminin, obligent les femmes à prendre quelques dispositions. Certes, l’altitude rend les choses plus saines, mais comme le souligne Audrey. « C’est une donnée importante et il y a du matériel obligatoire que je me suis imposée toute seule… »

Que l’on soit homme ou femme, courir en altitude est en soi une erreur. Un risque qui se renouvelle à chaque « foulée verticale ». Reste que cela n’est pas pour déplaire à Audrey qui, il est vrai, possède une âme d’alpiniste. « La notion de danger, d’interdit, c’est aussi ce qui attire l’être humain. Il a besoin d’être sur le fil, de jouer avec la limite. Pour certains, cette notion prend forme en haute altitude. Pour d’autres, c’est au volant d’une voiture. » Reste que ce jeu avec la vie – et donc la mort – ne devient-il pas, alors, un moyen pour exister ? Audrey ne le cache pas : « Cette course était un rêve et le fait qu’elle devienne réalité m’a permis de sentir vivante. »

Exister dans l’effort est souvent lié à un sentiment de souffrance. Au moins pour les jusqu’au-boutistes. L’image que garde Audrey n’est cependant pas dans son corps, mais dans son cœur. « C’est l’arrivée dans le brouillard, au Camp de Base de l’Amadablam (4.700 m). Le paysage aurait du être magnifique… Alors que les coureurs arrivaient les uns après les autres, nous nous tombions tous dans les bras. Nous savions que c’était l’avant-dernière étape. La fin d’une aventure, aussi… Les montagnes n’étaient pas visibles. Il y avait seulement nous, l’émotion et quelque chose qui se passait… » Silence…

Cette émotion, Audrey a pu la partager avec son compagnon, Philippe, septième de l’Everest Lafuma Sky Race. Une présence positive qu’elle résume par cette phrase : « Qu’il soit près de moi n’a pas été un désavantage. Il fut mon confident… » Et que lui a-t-elle dit dans l’avalanche émotionnelle du Camp de Base de l’Amadablam ? « Que je l’aimais. » Parce qu’il était là. Parce qu’elle était là…

Bruno Poirier.

 

« La Mandala est une course qui ne ressemble à rien d’autre… »

Après avoir  remporté l’Annapurna Mandala Trail en 2010, Audrey Ehanno avait répondu à nos questions, avec son « sérieux » habituel.

 

Audrey, Réunion, Templiers, UTMB, AMT, tout ce que tu touches se transforme en quelque chose. Existe-t-il un style Ehanno ?

(Rire d’Audrey)… Déjà quand on aime, on ne compte pas… Quant au style, je ne crois pas. Sur la Mandala, j’étais toujours à fond ou à la relance. Dire que j’ai l’âme d’une coureuse par étape est joli, mais sur une telle course, il ne faut pas cacher qu’il faut être rustique pour réussir. Comme dans l’effort, j’aime jouer et prendre du plaisir, mais sans être jusqu’au-boutiste, je suis passée par toutes les couleurs…

 

Peux-tu les décliner avec celles des Chevaux du Vent, ces fameux drapeaux à prière, pour en dire plus…

Pour le vert, je pense aux premières étapes. Il y avait la chaleur et la végétation luxuriante. Et même si la seconde était inhumaine, j’ai pensé à la Vie ! Pour le rouge, mon visage sous le soleil, l’effort. L’intensité de l’effort et l’hypoxie. C’est alors que la Mandala te prend et ne te lâche pas. Par moments, j’avais l’impression d’être comme un poisson hors de l’eau… Pour le bleu, c’était là-haut, au sommet des cols, près des montagnes et au milieu des Chevaux du Vent… Pour le blanc, dix ans de mariage. C’était fort de partager cela avec Philippe (Dauriac, ndlr). Et le sourire des Népalais. Pour le jaune, la poussière, la chaleur et la fatigue. Heureusement, qu’il y avait le visage de tous ces gens que nous avons rencontré.

 

Qu’as-tu pensé du parcours du dixième anniversaire de la Mandala ?

La Mandala est déjà une course qui ne ressemble à rien d’autre… Je ne pense pas que l’on puisse ressortir indemne d’une telle épreuve. J’ai d’ailleurs l’impression que j’ai laissé quelques plumes… Le parcours était une jolie partition, mais difficile à jouer – chez nous, c’est Philippe le pianiste. Sinon, ce fut un beau voyage, même si on ne faisait que de passer… Par endroits, j’aurai aimé m’arrêter pour prendre le temps de m’imprégner de l’ambiance.

 

Course ou voyage, il est parfois délicat de choisir…

Effectivement, il est difficile de se situer, mais dans l’esprit, la course reste un voyage. Une épreuve par étape est un condensé de vie. C’est même une vie en particulier où tu as l’impression que chaque chose compte. Cela fait partie des idées reçues, mais une épreuve comme la Mandala permet de relativiser ton quotidien. C’est une histoire où il y a une joie de vivre. Cependant, je m’interroge. Cette vision n’est-elle pas tronquée par le fait que certains Népalais que nous rencontrons vivent du tourisme. Alors que nous aimerons voir une vie plus difficile afin de nous rassurer sur la nôtre, comme ce fut le cas à Samdo.

 

Un grand débat, mais il faut conclure. Tu termines onzième au général, alors que tu espérais le Top 10. Déçue ?

Non. J’ai joué, j’ai perdu. Et finalement, je ne pouvais pas faire mieux. Jusqu’au fond, jusqu’au bout de moi, j’ai été. Et je n’ai qu’une envie : revenir…

 

Propos recueillis par Bruno Poirier.

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