Les Chevaliers du Vent

Benoit Laval

« Sur la Mandala, tu reviens à la simplicité de la vie et de la course à pied… »

 

Défi de l’Oisans, Marathon des Sables, Guadarun, Trans’Aq, Verdon… Depuis dix ans, Benoît Laval (36 ans) est LE coureur par étapes de référence en France. Fort de son expérience alpine (Mont-Blanc) et andine (Aconcagua), il fallait bien qu’il vienne, un jour, courir au Népal. Après sept ans de réflexion, il a choisi l’Annapurna Mandala Trail pour faire ses premiers pas de course en Himalaya. Un choix judicieux puisqu’en 2009, il s’était classé deuxième. En 2010, pour le dixième anniversaire, la Mandala fut la plus longue de son histoire : 358 km (+15.210, –12.475) en dix étapes. C’est dans cette démesure qu’elle a été remportée pour la première fois par un Français : Benoît Laval. Jusqu’alors, les Népalais n’avaient été battus qu’une seule fois. C’était en 2005 par le Suisse Christophe Jaquerod.

Depuis 24 heures, la Mandala n’est plus qu’une trace sur une carte et un souvenir dans les esprits. Benoit Laval, paisible et libéré, déambule dans les rues de Pokhara, un paquet sous le bras. Est-ce un plaisir pour sa douce ? A la question, il se fend d’un sourire. « Non, c’est pour moi, révèle-t-il. C’est un livre sur les mandalas… Si je viens au Népal, ce n’est pas seulement pour courir. C’est un prétexte pour faire un beau voyage. Après une telle course, on a envie de s’enrichir. J’ai découvert ce pays l’an passé et la Mandala offre une autre vision de la vie et de l’univers que nous connaissons en Europe. J’ai donc le désir d’en apprendre davantage sur cet autre monde. » Nul doute que Pierre Zickler, le père spirituel de l’épreuve, a trouvé en Benoit un nouveau disciple. Et pourtant, il n’y a point de démarche spirituelle dans la nouvelle lecture de l’élève. « Si je ne suis pas croyant dans le sens religieux du terme, mais je crois en l’Homme. Je pense que nous avons un destin commun et chacun le conduit comme bon il lui semble. En lisant un livre sur les mandalas, ma démarche est pour l’instant culturelle. »

L’utilité de l’expérience des courses par étapes

Dans la philosophie bouddhiste, le Mandala est la représentation symbolique de l’univers avec un centre et un cercle autour. Ce diagramme est un support pour la méditation, synonyme d’éternel recommencement, à l’image de la représentation du temps en Asie. Ou encore, à l’instar de la recherche de l’absolu, de la perfection, une quête qui ne trouve jamais ce qui n’existe pas. C’est donc à partir de l’idée du mandala que la course a été conçue. L’Annapurna Himal en est le centre. Pour la dixième édition, les chemins entre Arughat et Poon Hill en ont fait presque le tour. Comme le souligne avec finesse Benoit, le coureur n’est pas immortel. Dans ce sens, le cercle a été inachevé… Il y a donc eu un début et une fin, un départ et une arrivée, et 358 km parcourus en 10 étapes. Et au final, une victoire française basée sur l’expérience. « Par rapport à 2009, ce fut différent. Sur certaines étapes, la durée de l’effort comptait double et la gestion face à la haute montagne a été plus importante avec le Manaslu Base Camp (4.700 m), le Larkya La (5.220 m), le Thorong Pass (5.416 m). Par contre, l’expérience de 2009 m’a servi dans la gestion de mon ravitaillement qui fut uniquement « local » – eau, Coca, Mars et Snickers. La lecture des cartes népalaises et la compréhension des chemins népalais m’ont également été utiles. Enfin, si j’ai pu battre les Népalais, c’est en me comportant comme un coureur d’ultra. Et Thierry (Chambry), avec mon expérience des courses par étapes. »

« La Mandala n’a rien d’extrême… »

Comprendre la philosophie d’une course, c’est en accepter les contraintes. Si Pascal Beaury Sherpa parle des courses himalayennes comme d’un « voyage intérieur déconnecté de la course elle-même et une aventure pour découvrir les paysages et les gens ». Si Pierre-Olivier Cueff évoque sa communauté comme « d’une horde de guerriers emmenée par un highlander au grand cœur sur le chemin d’une croisade sportive et philosophique ». Benoit – et ce malgré sa quête spirituelle, pardon culturelle – ramène la Mandala à l’essentiel : « Une course au jour le jour qu’il faut gérer comme un ultra. » Et de poursuivre. « L’AMT n’a rien d’extrême. C’est une épreuve qui reste abordable. L’extrême, c’est mettre sa vie en danger et il n’en est pas question au Népal. Même pour les alpinistes. Ils sont certes plus exposés à cause de la haute altitude et des conditions météorologiques, qui peuvent changer très vite en montagne, mais leurs limites techniques évitent qu’ils se mettent en danger. Sur une course par étapes comme la Mandala, la prise de risque est dans l’effort. Ce qui nous attend est sur le papier. Il faut juste l’aborder comme un ultra dans la gestion de l’effort et de l’alimentation. Quant à l’altitude, chacun connaît rapidement ses limites… » Et dans ces limites, chacun comprend que nous ne sommes pas égaux face à elle…

« Le trail est aussi un prétexte pour voyager et découvrir… »

En remportant la dixième édition de l’Annapurna Mandala Trail l’année du soixantième anniversaire de l’ascension de l’Annapurna I (8.091 m) par les Français Maurice Herzog et Louis Lachenal – c’était le 3 juin 1950 à 14 heures – Benoit a doublement marqué de son empreinte l’épreuve franco-népalaise. Certes, comme lors de la victoire de Christophe Jaquerod en 2005, il n’y avait pas de coureur de l’ethnie Sherpa sur la Mandala 2010. Et chacun sait qu’une course au Népal sans Sherpa, c’est comme une finale mondiale du 10000 m sans Éthiopien. Mais la victoire de Benoit restera dans les annales de l’AMT comme la première française. « Sur le plan sportif, c’est l’une de mes plus belles victoires, souligne Monsieur Raidlight. Le trail, ce n’est pas que le TTN (Trail Tour National, ndlr). C’est aussi un prétexte pour voyager et découvrir. Gagner la Mandala, l’année anniversaire de la conquête de l’Annapurna, c’est aussi un petit clin d’œil pour les Français. Reste que ce n’est pas le même registre de performance. L’an passé, j’ai lu le livre de Maurice Herzog, Annapurna, premier 8000. Cela m’avait permis de bien m’imprégner du contexte et de la géographie de la course. Mais lorsque tu vois la face nord de l’Annapurna et tu as lu le récit de l’expédition de 1950, tu te demandes comment ils ont fait et tu comprends ce qu’est l’Alpinisme avec un grand A. »

« Un défi physique est toujours un voyage intérieur… »

Nous sommes au cœur du printemps 2010 et Pokhara a déjà ses allures estivales. Benoit a toujours son livre sur le bras, enveloppé dans un vieux Kathmandu Post. Il parle comme s’il l’avait lu. De ce Népal d’aujourd’hui et de celui d’autrefois. De la construction de la piste le long de la Kali Kandaki dont chaque kilomètre gagné sur l’Himalaya marque l’évolution du pays vers une modernité galopante. Il parle aussi de cet autre Népal qui concerne une grande partie de la population. « Une maison et un lopin de terre qu’ils cultivent. Cela peut paraître moyenâgeux, mais ainsi que vivent des millions de personne à travers le monde. Une vie de tous les jours qui finalement nous ramène à l’essentiel. Un jour ou l’autre, je reviendrai au Népal avec mes enfants… Pour courir, je compte revenir sur la Mandala en 2012 pour le Mustang. Car c’est une course authentique, honnête et qui a une histoire avec le pays. Cette course possède une âme, certes, mais dans le défi physique elle a aussi du caractère… » Et Pierre Zickler de conclure : « Un défi physique est toujours un voyage intérieur et je sais que seule la souffrance mène à une certaine plénitude ».

Benoit peut ouvrir son livre…

Bruno Poirier.


Le Tour des Annapurnas

en cinq questions avec Benoit Laval

 

Benoit, quelle fut votre première impression sur l’Annapurna Mandala Trail ?

Cela faisait longtemps que je voulais venir au Népal et connaître les sensations de courir à5.000 md’altitude… J’ai découvert une belle compétition qui permet de découvrir le pays en même temps. Au fil des étapes, je me suis demandé si j’habitais le même monde que les Népalais… Lorsque j’ai vu un garçon comme Phu courir dans les pentes à5.000 mètres, comme lorsque nous sommes montés au Tilicho Lake, j’étais en droit de me poser la question… J’ai pu rivaliser avec lui, en dessous de3500 mètres, comme lors de l’étape de Marpha, mais en haute montagne, c’était impossible… J’ai pris une belle leçon de vie et d’humilité.

Est-ce que cette leçon peut engendrer une remise en question ?

Voir les Népalais vivre en altitude avec trois fois rien en étant heureux, face à  mon quotidien lorsque je suis au bureau, je m’interroge… Je pense que je reviendrai au Népal pour approfondir la question.

Vous êtes un coureur par étapes dans l’âme. Quelles sont les qualités qu’il faut avoir pour réussir ce genre d’épreuve au Népal ?

Il faut être robuste, flexible et capable de s’adapter à l’alimentation et aux conditions de course qui sont très spécifiques. Nous l’avons vu lors de la première étape avec20 cmde poudreuse au Camp de Base des Annapurnas, une chaleur accablante dans les marches de Chomrong et une dernière ascension dans les cultures en terrasse sous la grêle… La Mandala est aussi une course où il faut aller vite tout en pensant à l’étape du lendemain. C’est une gestion de course avec un protocole particulier. Pendant dix jours, il faut avoir toute sa vie dans un sac à dos de 30 litres ! Tu t’aperçois alors que plus ton sac est petit plus tu as de facilité à gérer ta course. On se retrouve dans la même situation que les Népalais qui vivent dans la montagne et on se rend compte qu’ils n’ont pas nécessairement besoin de plus… Tu découvres que tu peux vivre avec 7 kilos sur le dos pendant plusieurs jours tout en achetant ta nourriture au jour le jour. Sur la Mandala, tu reviens à la simplicité de la vie et de la course à pied. C’est pour cela que l’esprit de portage est intéressant. Il nous ramène à l’essentiel.

Quel est votre regard d’organisateur sur la Mandala ?

Il ne faut surtout rien changer ! Je n’ai rien vu de négatif. Les organisateurs ont su adapter le programme lorsqu’il le fallait. Même lorsque le groupe s’est séparé en trois après le passage du col. Chacun a pu vivre sa course et la compétition. Se tirer la bourre lorsqu’il le fallait tout en découvrant du pays dans une ambiance familiale. Comme au Défi de l’Oisans…

Envisagez-vous de revenir au Népal ?

Pour battre Phu, ce sera très dur, même si j’aurai l’avantage de connaître un peu mieux le terrain… Mais il n’y a pas que la compétition. Il y a aussi l’envie de voyager ailleurs dans le pays… Revenir courir autre chose, certainement. L’Everest Sky Race, par exemple. Il y a aussi Himal Race. Une aventure humaine hors du temps qui semble incroyable… Il y a tant de choses qui invitent à revenir…

Propos recueilli par Bruno Poirier.

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