Les Chevaliers du Vent

Himal Race

Une course est un éternel recommencement… D’autant plus lorsqu’elle est à géométrie variable. Himal Race est ainsi. Il faut dire que sa géographie s’y prête. L’Himalaya est le Continent Montagne par excellence. Et chaque édition de l’Ultra Mountain trouve une trace unique sur les Chemins du Ciel. Annapurna Base Camp – Everest BC en 2002, Kathmandu – Dolpo en 2007, Mont Kaïlash – Shey Gompa – Annapurna Sanctuary en 2010… Et 2013 chemine déjà dans les corps par les hautes vallées himalayennes, aux confins du Mustang, de Nar-Phu, du Langtang et de la Rowaling afin de relier l’Annapurna à Sagarmatha. Quant à l’esprit, il se résume dans cette sentence de Siddharta Gautama, plus connu sous le nom de Bouddha : « Il n’y a point de chemin vers le bonheur, le bonheur est le chemin. »

Dans cet éternel recommencement, cette symbolique du cheminement, Himal Race n’est pas un sommet de plus de 8.000 mètres, comme les quatorze que Reinhold Messner a pu gravir durant sa carrière d’alpiniste, mais c’est une épreuve qui interpelle. « S’aventurer là où aucun être n’est jamais allé, là où personne ne peut plus vous suivre, ni vous comprendre », a dit Reinhold Messner. Pour comprendre Himal Race, il faut savoir qu’elle est à mi-chemin entre la compétition et l’expédition. Au chapitre des ultra-mountains par étapes, c’est la plus impressionnante : 890 km, +/ 35.000 m en 25 étapes pour 2013.

D’aucuns aiment comparer Himal Race aux grandes transatlantiques à la voile, sauf que si l’effort est individuel, l’aventure est collective. « Nous partons ensemble, nous arrivons ensemble, résume Dawa. Certains plus tard que les autres, mais il faut que ce soit toujours au bon endroit. Le dossard que nous portons n’est qu’un prétexte pour s’engager. Humainement et physiquement. La première fois que j’ai entendu parler de cette course, je me suis vraiment interrogé. Himal Race 2002,1.000 kilomètres, 80.000 mètres de dénivelé cumulé en 23 jours avec un sac de 10 kilos sur le dos, j’avais du mal à m’imaginer ce que cela pouvait représenter. En tant que Népalais, je n’étais pas impressionné, mais je ne savais pas ce que j’allais trouver dans cette épreuve… Aujourd’hui, je peux dire que c’est une grande aventure qui m’a apporté une certaine confiance et une belle expérience personnelle… »

Dawa a inscrit son nom deux fois au palmarès de Himal Race. Au moment d’évoquer les souvenirs, il apparaît submergé. Comme si les flots blancs de la Dudh Koshi, rivière qu’il a tant de fois remontée entre le Solo et le Khumbu lorsqu’il était jeune porteur, avant de devenir coureur, le projetaient loin en arrière… Les mots bouillonnent et semblent flotter au milieu des drapeaux à prières du monastère de Trakshindo, où il a étudié. Leurs mouvements sont comme une page que l’on tourne sans fin… « Est-ce le drapeau qui bouge ? Est-ce le vent ? Ni l’un ni l’autre, a dit Hui-Neng, c’est ton esprit. » Celui de Dawa se pose enfin. « C’est une chance d’avoir participé à Himal Race, s’éveille-t-il. Au travers de cette épreuve, je suis devenu plus sage et plus raisonnable. À ce titre, je peux dire que c’est une course qui mène à la sagesse… Lorsque nous nous sommes tous retrouvés au sommet du Kala Pattar (5.450 m), face au Mont Everest (8.850 m), une grande émotion m’a envahi. C’était la première fois que je pleurais au terme d’une course… »

Chacun se révèle dans l’effort. Est-ce dans sa profondeur que l’Homme peut prendre de la hauteur ? Des hommes et des femmes ont choisi ce « véhicule » pour se réaliser et devenir ce qu’ils sont. Car au-delà de l’effort physique, le détachement de Soi est l’une des ouvertures vers la découverte du Moi. Une dimension qui permet de s’émanciper de l’attraction terrestre sans l’exigence du Je. Et dans l’acte, l’art pour les jusqu’au-boutistes, de courir l’Himalaya en ayant le ciel comme seule limite. En tant que bouddhiste, Dawa ne cache pas que ce « lâcher prise » l’attire. « Dans une course comme Himal Race, nous cherchonsla difficulté. Noussouffrons, mais nous existons, souligne le Tigre de Trakshindo. Chacun développe des sentiments particuliers envers les autres. Dans la difficulté, l’un devient plus proche de l’autre. Je pense souvent à cette épreuve. Sa nature fait qu’elle est plus conviviale que les autres. Nous sommes comme un Mandala et chaque coureur cherche à se rapprocher du centre pour ne faire qu’un… »

Sur Himal Race, seul l’instant présent, le « maintenant », nous appartient. Dans cet éternel recommencement, cette symbolique du cheminement, chacun aime se retrouver pour mieux se détacher, et finalement se révéler, dans l’impermanence, en compassion avec les autres et en éveil avec soi-même : « Himal Race est un Pèlerinage, psalmodie le Coureur qui Mène à la Sagesse. Un voyage en harmonie avec la Nature. Le détachement avec l’adversité humaine est total. Contre les Éléments, c’est une obligation pour aider les autres… La Nature sera toujours plus forte que nous. Face à notre Devenir, il vaut mieux être dans l’accompagnement que dans l’opposition. Cet état d’esprit, je l’ai dans chacune de mes courses à travers le Monde. Je ne suis jamais en concurrence contre quelqu’un. S’il y a une compétition, elle est intérieure et concerne seulement ce que je peux éprouver. L’absence de rivalité envers les autres est le meilleur moyen de s’ouvrir à eux… » Om Mani Padme Hum…

 Bruno Poirier

(1) Om Mani Padme Hum… est le Mantra de la Compassion. Il existe différentes façons de l’interpréter. Voici celle de Kalou Rinpoché : « Om est l’essence de la forme de l’éveil, Mani Padme, les quatre syllabes centrales représentent la parole de l’éveil, et la dernière syllabe, Hum, représente l’esprit de l’éveil. Le corps, la parole, l’esprit de tous les bouddhas et bodhisattvas sont inhérents au son de ce mantra. Il purifie les voiles qui obscurcissent le corps, la parole et l’esprit et conduit tous les êtres à l’état de réalisation. »
Bruno Poirier

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