Les Chevaliers du Vent

Marco Gazzola

La liberté de courir…

Marco Gazzola est un passionné avant d’être un compétiteur. Lorsqu’il est les deux, du skyrunning à l’ultra-mountain en passant par les courses par étapes, il est le meilleur coureur suisse du moment. Un statut qu’il ne cherche même pas à revendiquer, alors que ses performances l’attestent. Ses priorités sont ailleurs. De la course au sommet, il ne recherche qu’une seule chose : la liberté de courir, autrement : humainement.

La liberté de courir peut-elle mener à la victoire ? Cela pourrait être un sujet de philosophie, mais non. Reste que cette “ liberté de courir “, lorsqu’elle est animée par l’euphorie peut mener à l’erreur. C’est ce qui arriva à Marco Gazzola, dans le final du Tor des Géants. Porté par les courbes de niveaux descendantes de La Lèche jusqu’à Montila, il oublia de remonter à Bertone. C’est donc en longeant la rivière jusqu’à Courmayeur qu’il fini son tour de la Vallée d’Aoste. Cinq kilomètres descendant plat comme la main, cela n’a rien à voir avec les “up and down” de la remontée de Bertone et le final sur sentier, avant de retrouver le bitume à La Trappe… Le nom de Gazzola ne résume pas au fait qu’il a été le héros malheureux de la plus difficile course en montagne du Vieux Continent. Gazzola, c’est aussi Marco. Un coureur qui grimpe à l’ancienne, de la course au sommet, dans le monde d’aujourd’hui.

Membre du Team Salomon, depuis qu’il a recommencé à courir en 2005, avec une victoire à la Staffetta del Gottardo en Suisse (multisports en individuel) et une place de 27 au Marathon de la Jugfrau (42 km, +/- 2000 m en 3 h 32’), il collectionne les victoires, les podiums et les places d’honneur sur tous les formats de courses auxquels il participe. “J’ai repris la course à pied à 34 ans, après mon divorce, confie-t-il. C’était un moyen pour moi de me relaxer. Avant, et pendant dix ans, j’ai voyagé, fait du trekking et de l’alpinisme à travers le monde : Tanzanie (Kilimandjaro), Argentine (Aconcagua), Kenya (Mont Kenya), Equateur (Iliniza, Cotopaxi, Chimborazo) et Chili (Ojos del Salado). Mais mon premier sport, c’est le hockey sur glace. J’y ai joué de 6 à 25 ans. A 18 ans, j’évoluais en Ligue Nationale. J’ai commencé à courir à 15 ans, l’été, pour garder une activité physique. Et puis, en juniors, j’ai représenté la Suisse au championnat d’Europe de course en montagne (8e). Finalement, on peut dire que j’avais la course à pied dans le sang, mais mon premier sport, c’était le hockey sur glace. Avec six entraînements par semaine, il n’y avait pas beaucoup de place pour la course à pied.”

“ La montagne est mon premier amour… ”

Après avoir voyagé pendant dix ans et privilégié sa vie privée et professionnelle, Marco s’est donc remis à courir en 2005. Dès 2006, il s’est illustré en course en montagne et sur les classiques suisses, avec plusieurs victoires. Pour autant, la performance n’était pas la priorité dans sa nouvelle passion : “ Pour moi la course est surtout synonyme de découverte. Des chemins, paysages, alpages et sommets. Après une journée de travail, cela fait du bien d’être avec soi-même et prendre son temps pour réfléchir et vivre chaque minute. Je ne recherche pas l’extrême, c’est tellement subjectif… Je m’entraîne à la sensation en écoutant mon corps et ses réactions dans l’effort et face à la fatigue. De nature, je suis un montagnard, c’est mon “ premier amour ”. J’aime monter, descendre et les hautes dénivellations. La montagne, c’est la nature, l’air fin, la roche, le sommet, un point d’arrivée… D’en haut, je peux voir le chemin parcouru et si je peux continuer, celui qui me reste à faire. Cette liberté de courir, je la retrouve aussi dans le désert où j’ai vécu des émotions très fortes. Courir en pleine liberté, sans devoir toujours suivre un chemin défini, c’est être libre. ”

“ Intense, extraordinaire et enrichissant… ”

Marathon des Sables (13e en 2007), Akakus Prehistoric Trail en Lybie (1er en 2007), Atacama Crossing au Chili (1er en 2009), Toubkal Trail (125 km, +/- 9000 m, 2e en 2009), par étapes ou en ligne, Marco s’exprime aussi avec un talent certain dans le désert. Cependant, la montagne reste son univers. Les Alpes, les Andes, l’Atlas et plus récemment, l’Himalaya, il poursuit sa découverte du Monde en courant à pied. “ Tout ces endroits sont très particuliers, explique-t-il. Le désert, la neige, l’altitude, les sommets sont tous différents, mais il y a quand même des points de rencontres. Le sable, tôt le matin est comme la neige : dur et il tient sous ton poids. Les dunes sont comme des cols, au sommet, tu vois plus loin, comme en montagne… Cela prend une autre dimension lorsque tu es dans l’Himalaya. Comme ce départ de l’Annapurna Base Camp et cette lumière incroyable. Tu crois voir une montagne, mais c’est l’Annapurna qui te regarde… Courir, me déplacer vite en étant léger et en autosuffisance, c’est quelque chose que je pratique régulièrement en montagne depuis 2007. Au Népal, j’ai pu le faire avec des arrivées d’étapes à plus de 4500 m, en étant encore capable courir à 5400 m dans les plus hauts cols et de descendre pendant plus de 2 heures sous adrénaline… Courir avec Sudip Raï, le Kilian Jornet népalais, mais aussi les Sherpa, avec Dawa et Phu Dorjee, a été intense, extraordinaire et enrichissant. Des coureurs authentiques et plein de sagesse. Comme Yangdee, la Népalaise. Un sourire tout en musique qui invite au bouddhisme. Mon seul regret, c’est d’avoir été obligé de courir contre eux. Cette course était importante pour eux. D’un autre côté, je ne pouvais pas faire exprès de perdre… Un garçon comme Phu Dorjee ne l’aurait pas accepté, alors qu’il toujours prêt à m’aider si j’en avais besoin…” Au final, Marco s’est classé deuxième de l’Annapurna Mandala Trail.

“ La plus belle victoire est avec soi-même… ”

“ Avoir été obligé de courir contre eux…” Cette phrase montre le désintéressement de Marco face au succès, à la performance et elle permet de comprendre le peu de déception qu’il a pu éprouver après sa disqualification au Tour des Géants. De même qu’il fasse peu état de seconde place à la Mandala 2011, il ne cite même pas son podium (3e) au Lavaredo Ultra Trail (90 km, +/-5.300 m en 10 h 30) derrière Sébastien Chaigneau. Ni même ses grandes victoires : Akakus Trail 2007 (Lybie), Skyrace Lodrino – Lavertezzo (2008), Atacama Crossing 2009 (Chili) et Kentavros Trail 2010 (Grèce), au total douze, du skyrunning à l’ultra-mountain en passant par les courses par étapes, depuis qu’il a recommencé à courir en 2005. Sa préférence va à ses sorties en solitaire où courir vite et léger est synonyme de liberté. “J’aime beaucoup les défis personnels et souvent, je programme des tours de plusieurs heures autour des montagnes chez moi. J’aime partir à vélo, puis enchaîner avec de la course à pied, grimper un sommet et revenir chez moi en courant et en pédalant. Cependant, au niveau des performances sportives, j’aime beaucoup ce que fait Kilian Jornet, car son talent naturel lui permet d’être sur une “ autre planète ”. Celle de Marco n’est pas si lointaine…

Comme Bouddha, Marco pense : “ Il n’y a point de chemin vers le bonheur, le bonheur est le chemin… ” Et de conclure : “ Pour certains, courir est une façon de vivre. Pour moi, le chemin d’une vie et de vivre son bonheur. Le bonheur, c’est de tout faire avec plaisir et satisfaction. Chaque jour, dans sa vie privée, au travail et dans le sport. Ainsi, il n’y a pas des problèmes, mais seulement des solutions. Et comme je dis toujours : la plus belle victoire est avec soi-même.” C’était Marco Gazzola. Une liberté de penser, mais aussi la liberté de courir, autrement : humainement.

Bruno Poirier.

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