Les Chevaliers du Vent

Bruno Poirier


Avec son âme d’aventurier, Bruno Poirier est le plus éclectique des journalistes. Auteur, coureur d’ultra fond et organisateur d’épreuves de grand fond dans la chaîne himalayenne, il est un « Chevalier du Vent » depuis 1992.

Alors que son premier voyage au Népal date de 1987, Bruno a créé l’Annapurna Mandala Trail en 2000, Himal Race en 2002, l’Everest Sky Race en 2003 et de l’Annapurna Ultra-Mountain en 2012. Il totalise à ce jour, 10.435 kilomètres à travers l’Himalaya Népalais et Tibétain, soit 375.200 mètres de dénivelé positif et 368.500 mètres de négatif. Un parcours balisé de deux œdèmes pulmonaires, d’un canon de Kalachnikov sur la poitrine, d’un maoïste pris au col et deux entorses ! A l’automne 1994, du 21 octobre au 1 décembre, en compagnie de Paul-Eric Bonneau, le duo a traversé l’Himalaya népalais d’Est en Ouest, de Pashupatinagar à Mahakali, en serrant au plus près la plus haute chaîne de montagne du Monde dans des conditions météorologiques difficiles. Une version libre, tout terrain et azimuté du Great Himalayan Trail. Au total, ils totalisèrent 2.100 kilomètres et 55.000 mètres de dénivelé positif. Dans le souffle des Chevaux du Vent, il court toujours sur les Chemins du Ciel…

 

Portrait

« Ici, je vis. Là-bas, j’existe »

C’est un soir d’hiver avec un feu de cheminée, un verre de vin rouge. C’est Bruno Poirier, le ciel aux yeux, ses cheveux qui tombent derrière les oreilles. Il parle, raconte, recompte ses 21 voyages au Népal depuis 1987, le premier comme ça avec des copains de lycée, un défi après l’Amérique du Sud où ils étaient allés randonner l’année précédente.

Et puis il y en a eu un deuxième, en solo cette fois, dans les à-pics de l’Annapurna. Et Bruno qui reste figé face à l’immensité comme il dit. Il en est revenu changé, bouddhiste d’esprit, fidèle à vie à ce continent-montagne. Et puis il y en a eu un troisième avec Paul-Éric Bonneau parce que ces deux-là avaient un bout de chemin à faire tous les deux. « On s’est dit on va traverser l’Himalaya en courant. L’aventure de ma vie. »

Et puis tous les autres, jusqu’à ce qu’il se décide à organiser l’Himal Race, la course à pied en haute montagne la plus dure et la plus longue du monde, quelques dizaines de concurrents, un marathon par jour pendant vingt jours.

C’est Bruno, 46 ans, le corps comme un fil. Bruno  est un corps, longiligne, un corps mâché quand il revient dans nos contrées de basse altitude, tout en déséquilibre, ses genoux, ses hanches, ses pieds, ses poumons étouffés de sang et d’eau par deux fois à plus de 5 000 m d’altitude. Il dit : « J’ignore si une telle douleur nous améliore… Ce que je sais, c’est que jouissance et souffrance sont intimement liées chez moi, le goût de l’effort. » Il poursuit : « C’était en courant, un jour là-haut, un râle. J’ai vécu une illumination physique, un sentiment incroyable. Courir pour moi, passé un certain stade, c’est entrer en méditation. Pour avoir échangé avec eux, ce que les bouddhistes peuvent ressentir pendant des heures de méditation, moi je le ressens en courant. » Les douleurs disparaissent, alors.

Bruno est une croyance. « J’ai perdu mes croyances catholiques au Pérou, en 1986, quand on m’a raconté les conquistadores espagnols venus anéantir le peuple inca au XVIe siècle. Je crois, depuis, en l’être humain, en sa notion, bien plus qu’aux statuts de plâtre. » En 1991, il crée une association gérée sur place par des Népalais, venant en aide aux écoles. De la vente de ses livres, de ses tee-shirts ou de pin’s, il achète des crayons et des cahiers. Il voyage en solidaire.

Bruno est un être humain, une conscience éveillée. « L’Himalaya nous a acceptés là, à courir sur ses échines. Comme les marins avec la mer, on ne la provoque pas, jamais, car elle aura toujours le dernier mot. L’engagement ne doit pas mener à la mort. » En 2010, l’Himal Race était devenue trop difficile. Les concurrents ne se sentaient plus en sécurité. « On ne courait plus pour rêver. On courait pour crever. J’ai alors mesuré la démesure. » Personne n’était allé au bout. « Je me suis senti responsable. En 2013, même si elle restera la course la plus dure du monde, on permettra aux gens de se reposer. »

Bruno est un repos. Là où la terre offre ce qu’elle a de plus haut, montagnes hautaines et magnifiques, là où le ciel est plus grand, l’homme si peu bienvenu, Bruno enfile ses semelles de sable, de neige, de glace, de tout. Il dit la terre, l’eau, la boue, les déserts, les éléments, les couleurs inouïes des beautés, la montagne noire, l’acoustique, sa respiration qu’il entend comme dans un casque, le cœur qu’il sent jusqu’au bout de ses doigts, le silence, le regard seul, le soir. « On a parfois l’impression d’être au milieu de nulle part là-bas en altitude. De nulle part, oui. J’y vis sans but. Sans rien. Juste moi, là-haut. La montagne et moi. »

Bruno est juste lui. Sa quête l’a mené du métier de fraiseur-mouliste à celui de journaliste  et reporter-photographe, penché sur son clavier, attentif aux mots, « qui rend la vie quotidienne plus supportable ». Elle a mené ce gamin de six ans qui allait à l’école à pied au fond de la campagne rennaise à cet homme de 46 ans qui court le ciel. Elle a mené ce fils d’un père qui choisissait parfois pour lui à la paternité à son tour, ses deux filles,  Nastassja,  Enorah 6 ans, la petite dernière, qui a les mêmes longs cheveux blonds, sa respiration.

Bruno cite Nietzsche qu’il a beaucoup lu, « Deviens ce que tu es », n’ignore pas que le détachement à son point le plus extrême peut couper « du monde des autres », et dit ceci : « Je crois qu’inconsciemment, je m’y refuse. Ce jusqu’au-boutisme n’a pas sa place dans mon quotidien, sauf quand je suis là-bas. » Avec des yeux, de la voix : « Ici, je vis. Là-bas, j’existe. »

Parfois, sur ses sentiers d’entraînements du côté de Saint-Aubin-des-Ormeaux, sentiers qu’il bûcheronne et façonne régulièrement, il lui arrive de tomber nez à nez avec des odeurs de bois brûlé, de fougères, de cendre. Elles lui rappellent le Népal, l’appellent. Bruno Poirier ne ressemble pas. Il est une aventure, un chercheur d’absolu qui court sur des chemins de haute altitude, quand il n’est pas assis là, un soir d’hiver au coin d’une cheminée.

Mathieu Coureau

Articles de presse

Article Ouest France – 02/01/2011

Article Ouest France – interne 2011

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