Les Chevaliers du Vent

Altitude & Hypoxie


Des adversaires invisibles

 L’altitude et l’hypoxie sont des « adversaires » d’une dimension qu’il est impossible de contourner. Des adversaires invisibles face à qui l’esquive est interdite, dès qu’ils imposent ce qu’il y a de plus difficile pour un athlète aérobie : le manque d’oxygène. Cette adversité n’est pas forcément himalayennes ou andines, on peut la rencontrer – car sachez qu’il est déjà inutile de l’affronter – partout où l’air se fait rare, partout où le relief vous oblige à marcher, partout où la Nature impose sa dimension minérale… Dès lors, seul la raison peut conduire à l’acceptation de la « défaite ». Au travers de différents témoignages, d’études et d’ouvrages, Endurance a rencontré l’altitude et l’hypoxie. Portrait d’adversaires qui vous donne le mal des montagnes.

D’aucuns connaissent la notion d’altitude. Elle s’exprime par les mètres qui s’élèvent du niveau de la mer. Suivant les capacités physiologiques de chacun – car d’ors et déjà, n’oubliez jamais cette phrase du Professeur Jean-Paul Richalet, physiologiste de renom et spécialiste en médecine d’altitude : « Nous ne sommes pas égaux devant l’altitude. » – l’altitude devient un adversaire lorsque la mesure métrique sort du raisonnable et rend l’effort de difficile jusqu’à impossible… L’hypoxie est intimement liée à l’altitude. Reste à connaître sa définition exacte. Nous pourrions nous (vous) contenter de la racine ethymologique. Hypoxie : Terme issu du grec hupo (sous), et oxus (oxygène). En clair, situation de déficit en oxygène dans le sang et les tissus. Mais puisque le docteur Michèle Potiron-Josse, responsable du service Médecine du sport et de l’effort physique au CHU de Nantes, peut être plus précise, autant vous en apprendre davantage. « L’hypoxie est une réaction spécifique pulmonaire et vasculaire. C’est une réaction particulière qui apparemment est une hyper réactivité anormale des vaisseaux pulmonaires. C’est-à-dire que n’importe qui avec une très bonne condition physique, une valeur de VO2 élevée et une morphologie optimum peut faire un mal aigu des montagnes. La seule précaution intelligente pour l’éviter, c’est de ne pas s’exposer trop brutalement à une hypoxie importante et d’avoir une bonne acclimatation à l’altitude. »

Avec cette explication, il y a donc une constante en altitude : la diminution de la qualité d’oxygène disponible. Elle est d’un tiers à 3.200 m, d’un demi à 5.500 et de deux tiers à 8.850 m. La consommation maximale d’oxygène diminue progressivement en altitude. Au sommet du Mont-Blanc (4.810 m), un sujet n’a que 70 % de ses capacités physiques, par rapport au niveau de la mer. Au sommet du Mont Everest (8.850 m), il n’en dispose plus que de 20 %, à peine pour marcher à un rythme très lent. Et lorsque l’on court au Népal, entre 3.000 et 5.400 mètres, il y a forcément moins d’oxygène dans les poumons. Donc moins dans le sang et moins pour irriguer les organes. « Courir au niveau de la mer, ou à une altitude réduite, demande de l’oxygène, rappelle Nicolas Peschanski, membre de l’Himalayan Rescue Association. C’est pour cela que l’on respire plus fort et que le cœur bat plus vite. Lorsque l’on monte en altitude, c’est à peu près les mêmes effets sans que l’on ait pour autant besoin de courir… Car chacun sait que plus l’on monte en altitude, moins il y a d’oxygène dans l’air, à cause de la réduction de la pression atmosphérique. Cette raréfaction de l’oxygène dans l’air est appelée : hypoxie. »

« Nous ne sommes pas égaux devant l’altitude »

Dans l’ouvrage, Himalaya, Courir le Ciel (1), si l’on peut remarquer que les différentes courses himalayennes ont pu servir de « laboratoire » vivant pour des médecins ou des physiologistes spécialisés en altitude, comme Nicolas Peschanski (Annapurna), Véronique Billat (Everest) et  Maryse Dupré (Himal), afin de leur permettre d’approfondir, de découvrir et d’expliquer certaines choses relatives au mal aigu des montagnes, leurs travaux ne se bornent uniquement pas aux hommes et aux femmes qui courent le ciel… Dans son exposé intitulé : Hypoxie, le Docteur Maryse Dupré présente un phénonème que l’on peut rencontrer dès 2.000 mètres, c’est-à-dire dans les Pyrénées et dans les Alpes. A ce titre, il convient aussi de rappeler que l’on peut faire un mal aigu des montagnes au Puy de Dôme (1.464 m), en Auvergne, ou en ressentir les premiers effets au Grand Col Ferret (2.537 m), sur le Tour du Mont-Blanc. Deux lieux, mais aussi deux cas – Endurance n’a pas souhaité révéler les noms des personnes – qui soulignent LA phrase du Professeur Jean-Paul Richalet et qui aurait pu être le titre de cet article : « Nous ne sommes pas égaux devant l’altitude. » 

Lors de sa dernière conférence sur l’hypoxie, en septembre 2007 lors de la Coupe du Monde de rugby, le Docteur Maryse Dupré rappelait les trois règles d’or à respecter par rapport à l’altitude : 1.  Ne pas monter trop vite trop haut, en moyenne 400 mètres entre chaque nuit au dessus de 3.500 mètres. 2. Monter suffisamment haut pour s’acclimater. 3. Ne pas rester trop haut trop longtemps. Dès lors, d’aucuns vous dirons que les coureurs qui galopent au-dessus de 4000 mètres, évoluent avec une épée de Damoclès près du cerveau et dans les poumons, sièges de l’œdème cérébral et pulmonaire. Mais quittons le Ciel pour revenir sur terre… D’autant plus que certains coureurs, lors de l’Everest Sky Race et Himal Race, ont défié de nombreuses lois et vérités liées aux efforts en altitude. Certes, spécifiques, et pour des cas particuliers associés à des athlètes singuliers.

 

« Il faut être à l’écoute de la montagne… »

Dans son exposé, le Docteur Maryse Dupré est plus en contact avec le commun des mortels. « Il faut respecter ces trois règles d’or, rappelle-t-elle. Car finalement, une mauvaise adaptation à l’altitude est liée au déséquilibre des mécanismes d’adaptation à l’hypoxie. Naturellement, chaque cas est particulier. Outre le capital génétique de chacun, la vitesse d’ascension, l’altitude atteinte et la durée du séjour rentrent en compte ; lors d’une conférence, Nicolas Peschanski avait dit que les conditions d’ascension et météorologiques, l’alimentation, l’hydratation et l’état de fatigue avaient une incidence très importante sur l’adaptation à l’altitude. » Et Nicolas Peschanski de poursuivre : « Comme nous l’avons déjà dit : nous ne sommes pas tous égaux devant l’altitude. Schématiquement, il y a deux catégories : le bon répondeur et le mauvais répondeur… Il ne faut pas non plus oublier que le niveau d’entraînement et la valeur de la VO2 qui en découle sont corrélés de façon linéaire à l’altitude maximale qu’il peut atteindre. Enfin, être à l’écoute de la montagne ne peut être que forcément positif pour le sportif. Mais certains préfèrent foncer idiot et de tomber malade, plutôt que respecter le rythme qu’elle nous impose. »

L’hypoxie – le manque d’oxygène – n’est pas le seul « danger » qui survient en altitude. Maryse Dupré énumère les autres « hypos » que l’on peut croiser sur les sentiers de montagne. « Outre l’hypoxie, il y a l’hypoglycémie, le manque de sucre, l’hypothermie, le manque de chaleur, et l’hypohydratation, le manque d’eau. » Des « manques » qui ont également des effets sur la qualité de la performance face à la montagne, comme toute autre forme de compétition, véritable révélateur de l’entraînement. Car la performance en milieu hypoxique existe, même si son évaluation dépend de plusieurs critères. Et lorsque l’on parle de performance en altitude, il y a un autre facteur à prendre en compte, c’est la VO2. « Certains disent qu’une VO2 élevée ne favorise pas l’adaptation à l’altitude, poursuit Maryse Dupré. D’autres pensent qu’elle aide à mieux supporter l’hypoxie. Mais là encore, nous revenons à la fameuse phrase : « nous ne sommes pas égaux devant l’altitude ». Concernant le rapport entre l’altitude et la VO2, il y a toujours un cas qui nous renvoie à l’étude d’une hypothèse. Lors de Himal Race, par exemple, un coureur européen avait une VO2 de 60 et des taux de saturation identique, voir supérieurs, à ceux qui étaient entre 75 et 80. Jean-Paul Richalet a dit que le mental était un élément important en altitude. Ce coureur avait un mental très fort. Si l’on ajoute son entraînement et son expérience, avec ces trois choses, il a pu compenser la relative faiblesse de sa VO2. Pour conclure, même si une mauvaise adaptation à l’altitude est liée à un déséquilibre des mécanismes d’adaptation à l’hypoxie, je dirais que les études concernant la performance en course à pied en altitude ne peuvent que continuer… »

(1) Himalaya, Courir le Ciel de Bruno Poirier (VO2 Editions – Novembre 2007).

Hypoxie par le Docteur Maryse Dupré
Les trois règles d’or en altitude.

1. Ne pas monter trop vite trop haut : en moyenne 400 mètres entre chaque nuit au-dessus de 3.500 mètres.
2. Monter suffisamment haut pour s’acclimater.
3. Ne pas rester trop haut trop longtemps.

Facteurs essentiels déterminant la survenue d’un mal aigu des montagnes

1. La vitesse d’ascension.
2. L’altitude atteinte.
3. La durée du séjour.
4. La susceptibilité individuelle congénitale.

Les signes cliniques du mal aigu des montagnes (MAM)

Ils se manifestent par des céphalées, l’insomnie, l’anorexie, les nausées, les vomissements, les vertiges, les dyspnées, la lassitude et une incoordination motrice. Afin de prévenir ou de diagnostiquer un mal aigu des montagnes, ces signes sont ainsi notés :

  • Céphalées: 1
  • Nausée ou anorexie: 1
  • Insomnie:  1
  • Céphalées ne cédant pas à l’aspirine: 2
  • Vomissements: 2
  • Dyspnée de repos: 3
  • Fatigue anormale ou importante: 3
  • Baisse de la diurèse: 3

Ces signes permettent établir un « total » et de faire un premier diagnostic.

  • Total de 1 à 3 : MAM léger (aspirine).
  • Total de 4 à 6 : MAM modéré (aspirine, repos et arrêt de la progression)
  • Total supérieur à 6 : MAM sévère (descente OBLIGATOIRE).

Dès que le mal des montagnes se révèle sévère, la seule issue pour le « guérir » : c’est descendre, descendre, descendre… Une issue synonyme d’abandon, lorsque l’on est en compétition, mais aussi la seule échappatoire pour rester en vie. Car comme le souligne le Docteur Maryse Dupré. « Il n’existe aucun traitement médical pour supporter l’altitude. On peut prescrire des diurétiques pour diminuer les effets, mais ils ne permettent pas d’aller plus haut ou plus loin, car ils peuvent entraîner une hypohydratation ou une hypotension. En montagne, c’est très risqué car il y a une probabilité de chute. La tolérance à l’altitude est quelque chose de physiologique et les personnes qui ne peuvent pas la tolérer n’ont malheureusement rien à faire en haute altitude. »

 

Comment se préparer face à l’altitude

D’aucuns savent, maintenant, que « nous ne sommes pas égaux devant l’altitude ». Cependant, ceux et celles qui peuvent s’exprimer face à elle ont toutes les raisons de l’appréhender. Si dans la plupart des épreuves d’altitude, l’acclimatation se fait au fil des jours et des étapes, rien n’empêche le coureur ou le raider de s’y préparer. Face aux athlètes génétiquement nés pour « courir le ciel », ou les locaux dont l’univers hypoxique est un quotidien, l’handicap sera toujours insurmontable. Reste le cas Etienne Fert qui, grâce à une préparation adaptée et française, a pu suivre les coureurs Sherpas durant Himal Race 007 où il était 8e, avant que la compétition ne devienne expédition. Son témoignage, associé à ceux Christophe Jaquerod, Fredéric Cantin et Yves Détry, montre que sans préparation on peut n’être « rien » face à l’altitude.

L’altitude n’est pas un phénomène étrange venu d’ailleurs… Même s’il faut être, forcément, d’une autre planète pour courir en hypoxie. Les Sherpas ont, semble-t-il, l’altitude dans le sang… C’est aussi l’une des choses que l’on se dit après la lecture d’une étude italo-suisse qui a découvert le pourquoi de cette suprématie sherpani. Selon Hans Hoppeler, de l’université de Berne, « les Sherpas, ethnie himalayenne du Solo-Khumbu, région de l’Everest, mais aussi les Tibétains, produisent plus de glutathion-S-transferase, une enzyme qui aide l’organisme à lutter contre le stress oxydatif dû à la raréfaction de l’oxygène, en neutralisant les radicaux libres dans les muscles. Un trait en partie héréditaire, car même en plaine, où l’oxygène est plus abondant, les Sherpas et les Tibétains ont 50 % d’enzyme en plus ».

Lors de l’Everest Sky Race 2005, Christophe Jaquerod avait d’ailleurs pu mesurer la « crevasse » qui le séparait de ces coureurs génétiquement nés pour faire des efforts en altitude. « Je pense que les coureurs népalais ont une capacité d’acclimatation face à l’altitude plus importante et plus rapide que nous. Là où ils arrivent encore à courir, nous sommes en phase d’asphyxie. Je ne suis même pas certain qu’avec une acclimatation, des coureurs européens de mon niveau puissent vraiment rivaliser avec eux en altitude. Contrairement à Pascal (Beaury Sherpa) qui possède cette dimension. Elle lui permet d’être devant et c’est pour cela qu’il est impressionnant en altitude. Courir ainsi, à plus de 5.000 mètres, c’est vraiment un autre monde… »

Fonctionner à la raison et non à la sensation

A l’issue de Himal Race 007, Frédéric Cantin, 8e de l’épreuve compétition/expédition, avait l’accent sur l’aspect mental de l’épreuve tout en reconnaissant ses difficultés face à l’altitude. « Si je m’étais préparé physiquement, mais aussi mentalement afin d’avoir des points de repères face au froid et aux conditions de course, face à l’altitude, je n’avais rien prévu. En observant ceux qui venaient courir régulièrement au Népal, je me suis dit que leur corps avait une mémoire… Courir en altitude, c’est un format de course particulier. On a beau avoir une bonne approche mentale, face à l’altitude, la volonté ne suffit pas. »

Yves Détry, guide de haute montagne, alpinisme au trois 8.000 mètres et qui totalise 1.921 km de « course/compétition » dans l’Himalaya, contredit quelque peu la pensée de Frédéric Cantin. « Physiquement et physiologiquement, je ne pense pas que le corps à une mémoire face à l’altitude. Certes, si tout se passe bien la première fois, il y a de fortes chances que les autres expériences soient réussies. Mais face à l’altitude, rien n’est acquis. J’ai pu le vérifier à plusieurs reprises… Je ne vais pas revenir sur l’importance de l’acclimatation. Par contre, je peut dire que l’idée de « mémoire face à l’altitude » est simplement l’expérience. Une expérience qui nous permet de savoir comment il faut « fonctionner » lorsque l’on est en altitude. Si l’on veut passer, il faut savoir gérer son énergie. Quitte à perdre du temps pour en gagner après. L’important est donc de fonctionner à la raison et non à la sensation. »

Connaître sa « prise de risque »

Face à l’altitude, outre les aspects physiques et physiologiques, et cette « expérience », qui finalement ne remplace rien d’autre, le mental autorise un certain dépassement qui permet un nivellement des valeurs. Si Maryse Dupré l’a déjà évoqué, Yves Détry le souligne : « Le mental, c’est la confiance. Et avoir confiance en soi, mais aussi envers ceux qui vous accompagnent en altitude, c’est du stress en moins et cela influe sur l’acclimatation. Cette confiance permet aussi de connaître sa « prise de risque » au moment d’aborder la compétition. Que ce soit au niveau de la mer ou en altitude, chacun sait que la compétition génère du stress. Pourtant, c’est l’une des clefs de la réussite en altitude. Une chute de sérac en montagne, tu prends 20 pulsations sans bouger… Il ne faut donc pas que la compétition devienne un facteur stressant. Il faut rester zen… Lorsqu’il y a un coureur devant toi, la première idée, c’est le reprendre. Là, maintenant… Et tu stresses parce que tu n’y arrives pas… Il faut laisser le temps au temps. Se dire, que ce sera pour plus tard et penser uniquement à gérer son énergie pour être encore sur le chemin, le lendemain… »

 

Regards sur des courses d’altitude par Etienne Fert

  Sur des courses par étapes comme l’Annapurna Mandala Trail ou Himal Race, l’adaptation du corps au paramètre altitude constitue un élément important de la performance. Le premier objectif est d’abord de simplement « passer ». Les altitudes dépassant allégrement 5.000 mètres sur certains cols, la simple nécessité de ne pas contracter un mal aigu des montagnes (MAM) est essentielle pour arriver au bout de son rêve. Dès lors que cet objectif est atteint, on peut envisager d’optimiser ce paramètre d’adaptation pour améliorer sa performance puisqu’en dehors du plaisir de la montagne, on est aussi venu pour la compétition.

En 2007, j’ai donc participé cette année à deux courses au Népal : l’Annapurna Mandala Trail (AMT ou Mandala), au mois d’avril, et Himal Race 007, en novembre. J’ai pu constater des niveaux de forme et d’adaptation à l’altitude très différents entre ces deux épreuves. La comparaison était d’autant plus facile que certaines étapes étaient communes, ce qui permet une comparaison objective, même si le contexte est forcément différent. J’avais pour ces deux courses une préparation significativement différente. La Mandala se déroulant au début du printemps, mon entraînement en montagne était forcément plus limité alors que pour Himal Race, l’été qui précédait était bien entendu plus propice à un entraînement montagnard. Il en a résulté un niveau de forme différent qui explique de meilleures sensations générales sur Himal Race mais j’ai aussi pu noter une différence significative au niveau de l’adaptation à l’altitude. Autant sur la Mandala, je me sentais assez limité voir un peu poussif en altitude, autant sur Himal Race, j’ai très peu ressenti les effets de l’altitude au point de pouvoir atteindre des vitesses parfois proches de celles que je peux avoir sur des randonnées dans les Alpes.

Mais revenons aux points qui, à mon avis, peuvent être importants pour justement se préparer à l’altitude et optimiser sa future acclimatation. On a coutume de dire qu’il y a deux types d’acclimatation du corps à l’altitude. D’abord, l’acclimatation rapide : le corps détecte un changement significatif de la pression en oxygène et modifie certains paramètres physiologiques comme le rythme cardiaque ou de la respiration. Cette acclimatation est en générale rapide et se produit en un ou deux jours. Quand le corps ne réagit pas de façon adéquate, c’est souvent le MAM qui guette. En revanche, le corps doit s’acclimater à tout nouveau changement d’altitude et donc, une acclimatation à 3.000 mètres n’implique pas que le corps est préparé à une altitude de 4.000 mètres. A chaque palier, l’adaptation doit se faire, ce qui explique la nécessité de monter progressivement pour laisser le corps modifier petit à petit ses paramètres.

Ne pas se mettre dans le rouge

La deuxième acclimatation, c’est la production en plus grand nombre de globules rouges et c’est celle qui va permettre au corps de retrouver des performances physiques moins dégradées par rapport à celles qui sont obtenues au niveau de la mer. Cette adaptation est plus longue et la durée peut se compter en semaines. En revanche, elle est plus persistante (quelques semaines) et c’est donc sur cette adaptation que je pense qu’il est possible de jouer par une meilleure préparation avant la course. Bien entendu, il est difficile de se préparer en Europe à des altitudes de4.000 mètres à moins d’aller faire un séjour d’une semaine au refuge Vallot, juste en dessous du Mont Blanc. Néanmoins, à partir de 2.000 mètres, les effets de l’altitude commencent à se faire sentir de façon significative et il est possible d’avoir une production significative de globules rouges en réaction à l’altitude.

J’ai la chance d’habiter dans les Alpes et j’ai donc pu faire de nombreuses randonnées cet été entre 2.000 mètres et 3.000 mètres. Dix jours avant le départ de la course, je faisais encore deux randonnées dans le Queyras avec un sommet à 3.500 mètres. Je suis persuadé que ce sont ces entraînements en altitude qui m’ont permis d’arriver avec un niveau de globules rouge significativement plus élevé. Concrètement, en dehors de bien meilleures sensations, ma vitesse, par exemple sur les premiers cols n’avait rien avoir sur l’Himal Race par rapport à l’AMT. Mes résultats de saturation sanguine en oxygène étaient aussi significativement différents. Bien sûr, cette différence s’estompe après une dizaine de jours mais l’avantage n’en est pas moins significatif, surtout sur une course de dix jours.

Pendant la course, la première règle d’or que je respecte, en particulier sur les premiers jours, c’est de ne pas me mettre dans le rouge. Il est de coutume de dire chez les accompagnateurs ou les guides que les « marathoniens » supportent en général mal l’altitude et sont les premiers candidats au MAM. Il y a une part de vrai dans cette affirmation et tout guide au Népal saura vous trouver un exemple mais si cette population a souvent des problèmes, ce n’est pas parce qu’elle est sportive, ce qui en soit est positif pour l’altitude, mais c’est en raison de son habitude à se mettre à un rythme cardiaque proche du seuil aérobie. Or la pratique a montré qu’à ces fréquences cardiaques, le risque de MAM est plus important. En particulier sur les premiers jours, où l’acclimatation est encore faible, j’adopte donc un rythme cardiaque clairement situé dans les zones d’endurance. Si vous n’êtes pas sur de vous mettre naturellement et de façon sure à ce rythme, il n’est pas forcément inutile de porter un cardio-fréquence-mètre. Heureusement, le pratiquant de trail est souvent habitué à adopter un rythme plus proche de l’endurance.

Autre point important pour s’acclimater à l’altitude, l’hydratation. Je n’hésite pas à boire autant que possible. Bien sur, on peut être tenté de ralentir sa consommation en fin de journée pour éviter d’avoir à sortir de son sac de couchage au milieu de la nuit mais j’accepte le désagrément de la froideur nocturne au milieu d’une nuit de sommeil si je peux diminuer le risque de me trouver mal en altitude.

Optimiser sa performance

Sans être primordial, il me semble aussi important de prendre quelques informations avant la course, au plus tard au briefing de la veille, sur le profil de l’étape. La gestion de son potentiel et de l’altitude est forcément différente entre un col où la montée est raide et un autre avec un long faux plat avant d’atteindre le sommet. Sur le premier col à plus de 5.000 mètres sur Himal Race (Lakya La, 5.220 m), j’ai pris garde, comme d’habitude, à ne pas me mettre dans le rouge. En revanche, j’ai gardé tout de même un rythme soutenu. En effet, c’est un col avec une longue zone de montée douce de près de 10 km entre 4.500 mètres et 5.300 mètres. Le danger de cette montée est qu’elle implique un séjour prolongé à haute altitude pour un premier col où l’acclimatation à 5 .000 mètres n’est pas encore effective. J’essaie donc de ne pas trop traîner pour sortir le plus vite possible de cette zone en descendant.

Sur le Thorong La (5.420 m), dont la montée est raide, après plus de 10 jours de course, l’acclimatation était bien avancée et je me suis autorisé à partir sur un rythme de montée assez élevé par rapport à mon habitude, tout en restant à l’écoute de mes sensations. Au bout d’une petite heure, j’ai eu une sensation difficilement descriptible, mais qui se rapprochait d’un début de mal de tête et j’ai imperceptiblement levé le pied pour finir le montée dans de bonnes conditions. On peut donc prendre en compte le profil de l’étape et être en permanence à l’écoute de son corps pour d’abord, éviter le risque de MAM et ensuite, pourquoi pas, optimiser sa performance.

Sur ce point, l’expérience de l’altitude est très utile. Un coureur avec quelques expériences en altitude même dans un contexte de trekking sera souvent avantagé par rapport à un néophyte même si celui-ci se sera au préalable documenté sur le problème. Donc, si l’altitude vous angoisse sur ces courses, il peut être intéressant de partir une fois dans un cadre plus tranquille de trekking pour bâtir une expérience pour ensuite se lancer dans une course. Chaque expérience, quelle soit de trekking ou de course, vous sera toujours utile pour bâtir un vécu de cette haute altitude.

Enfin, dernier point, « NO STRESS ». Tout en étant vigilant sur mon état physique, je n’en fait pas une préoccupation constante. Après tout, en respectant une montée progressive et en ne poussant pas trop la machine sur les premiers jours, aucun problème ne devrait survenir, je me concentre donc sur le paysage et mon plaisir d’être en montagne.

Article écrit par Bruno Poirier, Maryse Dupré et Etienne Fert.

Haut de la page